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Complicités de génocides. Du Rwanda à Gaza
Juin 1994 : Des soldats français en patrouille croisent des miliciens génocidaires hutus au Rwanda
By François Graner*
La logique coloniale de l’État français l’a mené jusqu’à être complice du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Comme elle en fait aujourd’hui le complice de celui perpétré contre les Palestiniens à Gaza.
La loi des plus forts
La France est une petite nation, avec 0,3 % des terres émergées et même pas 1 % de la population mondiale. Pour acquérir une influence bien supérieure à ces pourcents, comme ses voisins, elle développe depuis quelques siècles un empire colonial. Elle en retire les ressources matérielles et énergétiques qui ont soutenu sa croissance économique et maritime, contribué à ses bombes atomiques et ses trains à grande vitesse. Son sentiment de supériorité lui fait justifier le racisme, la loi du plus fort, et l’élimination de ses opposants.
Du néo-colonialisme à la complicité de génocide
Autour de 1960, le colonialisme est remplacé par le néocolonialisme. Plutôt qu’un gouverneur et des fonctionnaires coloniaux, mieux vaut un gouvernement autochtone qu’on aide à se maintenir au pouvoir. Cela économise de l’argent, c’est plus présentable, et plus efficace.
La diplomatie française tente de prendre pied dans les anciennes colonies belges et d’en évincer toute possible influence anglaise, états-unienne ou soviétique. Au Rwanda, le clan des extrémistes hutus tient les leviers économiques et militaires. Les Français fournissent en connaissance de cause une aide militaire et diplomatique active qui permet à cette petite clique de se maintenir au pouvoir et de commettre le génocide des Tutsis de 1994. Celui-ci « n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique », à en croire ce qu’a écrit le 19 juillet 2021 l’ambassadeur de France au Rwanda sur le livre d’or du mémorial de Gisozi. En termes juridiques, cela s’appelle une complicité de génocide. Elle est due à une poignée de décideurs français, bien sous tout rapport, sans intention génocidaire, menant une politique de puissance banale à leurs yeux.
« La sentinelle avancée de la civilisation »
En 1948, beaucoup d’États européens soutiennent la création de l’État d’Israël pour aider les victimes du génocide des Juifs. Mais c’est dès 1898 que le fondateur du sionisme Théodore Herzl reçoit des soutiens de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Car pour de nombreux impérialistes européens, Israël est perçue comme « un morceau du rempart contre l’Asie, […] la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie », selon l’expression de Herzl. De telles considérations géopolitiques et coloniales expliquent largement la continuité du soutien occidental jusqu’à nos jours.
La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide oblige à s’opposer à cinq types d’actes dont chacun suffit, à lui seul, à caractériser un génocide. De plus en plus de voix autorisées, y compris israéliennes, soutiennent que depuis le 7 octobre 2023, Israël en commet à Gaza au moins trois, au vu et au su de tous : des meurtres, des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, et une soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle de la population gazaouie. Pourtant, l’Occident n’a pas fondamentalement modifié son attitude à l’égard du gouvernement Netanyahou.
C’est un enchaînement colonial : une dépossession systématique, un massacre commis par un groupe armé radical se revendiquant d’une libération nationale, une répression brutale sans discernement, un traitement médiatique qui surestime la violence des colonisés en sous-estimant celle des colonisateurs. La similitude est frappante avec la réponse française à l’insurrection du 20 août 1955 dans le Constantinois, en Algérie.
Aujourd’hui, sans être eux-mêmes génocidaires, le président Macron et plusieurs de ses ministres agissent « en pleine connaissance du fait que leurs actions et abstentions apporteraient une aide substantielle aux auteurs des crimes concernés ». En bref, par leur coopération militaire, économique, scientifique, sécuritaire, diplomatique, ils sont complices. Or, de façon comparable au Rwanda, on peut raisonnablement supposer que le génocide à Gaza n’aurait pas lieu si les États-Unis et l’Union européenne avaient une autre politique. Face au génocide, il n’y a pas de neutralité. (Fin).
* François Graner est membre de Survie, une association qui lutte contre le néocolonialisme français en Afrique sous toutes ses formes, la Françafrique. Il est l’auteur de nombreux articles et d’un autre ouvrage sur le rôle de l’armée française dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 : Le Sabre et la Machette. Officiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014).
Juin 1994 : Des soldats français en patrouille croisent des miliciens génocidaires hutus au Rwanda
By François Graner*
La logique coloniale de l’État français l’a mené jusqu’à être complice du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Comme elle en fait aujourd’hui le complice de celui perpétré contre les Palestiniens à Gaza.
La loi des plus forts
La France est une petite nation, avec 0,3 % des terres émergées et même pas 1 % de la population mondiale. Pour acquérir une influence bien supérieure à ces pourcents, comme ses voisins, elle développe depuis quelques siècles un empire colonial. Elle en retire les ressources matérielles et énergétiques qui ont soutenu sa croissance économique et maritime, contribué à ses bombes atomiques et ses trains à grande vitesse. Son sentiment de supériorité lui fait justifier le racisme, la loi du plus fort, et l’élimination de ses opposants.
Du néo-colonialisme à la complicité de génocide
Autour de 1960, le colonialisme est remplacé par le néocolonialisme. Plutôt qu’un gouverneur et des fonctionnaires coloniaux, mieux vaut un gouvernement autochtone qu’on aide à se maintenir au pouvoir. Cela économise de l’argent, c’est plus présentable, et plus efficace.
La diplomatie française tente de prendre pied dans les anciennes colonies belges et d’en évincer toute possible influence anglaise, états-unienne ou soviétique. Au Rwanda, le clan des extrémistes hutus tient les leviers économiques et militaires. Les Français fournissent en connaissance de cause une aide militaire et diplomatique active qui permet à cette petite clique de se maintenir au pouvoir et de commettre le génocide des Tutsis de 1994. Celui-ci « n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique », à en croire ce qu’a écrit le 19 juillet 2021 l’ambassadeur de France au Rwanda sur le livre d’or du mémorial de Gisozi. En termes juridiques, cela s’appelle une complicité de génocide. Elle est due à une poignée de décideurs français, bien sous tout rapport, sans intention génocidaire, menant une politique de puissance banale à leurs yeux.
« La sentinelle avancée de la civilisation »
En 1948, beaucoup d’États européens soutiennent la création de l’État d’Israël pour aider les victimes du génocide des Juifs. Mais c’est dès 1898 que le fondateur du sionisme Théodore Herzl reçoit des soutiens de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Car pour de nombreux impérialistes européens, Israël est perçue comme « un morceau du rempart contre l’Asie, […] la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie », selon l’expression de Herzl. De telles considérations géopolitiques et coloniales expliquent largement la continuité du soutien occidental jusqu’à nos jours.
La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide oblige à s’opposer à cinq types d’actes dont chacun suffit, à lui seul, à caractériser un génocide. De plus en plus de voix autorisées, y compris israéliennes, soutiennent que depuis le 7 octobre 2023, Israël en commet à Gaza au moins trois, au vu et au su de tous : des meurtres, des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, et une soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle de la population gazaouie. Pourtant, l’Occident n’a pas fondamentalement modifié son attitude à l’égard du gouvernement Netanyahou.
C’est un enchaînement colonial : une dépossession systématique, un massacre commis par un groupe armé radical se revendiquant d’une libération nationale, une répression brutale sans discernement, un traitement médiatique qui surestime la violence des colonisés en sous-estimant celle des colonisateurs. La similitude est frappante avec la réponse française à l’insurrection du 20 août 1955 dans le Constantinois, en Algérie.
Aujourd’hui, sans être eux-mêmes génocidaires, le président Macron et plusieurs de ses ministres agissent « en pleine connaissance du fait que leurs actions et abstentions apporteraient une aide substantielle aux auteurs des crimes concernés ». En bref, par leur coopération militaire, économique, scientifique, sécuritaire, diplomatique, ils sont complices. Or, de façon comparable au Rwanda, on peut raisonnablement supposer que le génocide à Gaza n’aurait pas lieu si les États-Unis et l’Union européenne avaient une autre politique. Face au génocide, il n’y a pas de neutralité. (Fin).
* François Graner est membre de Survie, une association qui lutte contre le néocolonialisme français en Afrique sous toutes ses formes, la Françafrique. Il est l’auteur de nombreux articles et d’un autre ouvrage sur le rôle de l’armée française dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 : Le Sabre et la Machette. Officiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014).